Jean-Claude Meyer et le grand retour de Rothschild et C en Europe

14 septembre 1990

FINIES les OPA ? Pas si sûr. Une grande opération de ce type (bien qu’amicale) s’est conclue cette semaine dans l’indifférence presque générale des financiers, trop occupés à suivre les errements boursiers. Philip Morris, numéro un mondial des biens de grande consommation, vient en effet de boucler son OPA sur la multinationale suisse de l’agroalimentaire Jacobs Suchard. Une acquisition de près de 4 milliards de dollars, menée fort discrètement mais sans heurt par Rothschild et Cie, la banque d’affaires de David de Rothschild.

 

Si, dans la salle du conseil de ce qui est devenu la deuxième banque d’affaires de Paris (derrière l’éternel concurrent Lazard Frères et Cie), on se plaît encore à montrer au visiteur, entre de beaux portraits des fondateurs, quelques lettres manuscrites de clients prestigieux comme Victor Hugo ou Marcel Proust, la société de David de Rothschild est désormais bien installée sur les marchés du futur. Certes, de la maison de la rue Laffitte, il ne reste que quelques gravures au mur des bureaux modernes d’aujourd’hui et la nationalisation de 1982 semble une blessure jamais vraiment cicatrisée, mais la centaine de personnes qui s’activent rue Rabelais ne perdent pas leur temps. Toujours expert en gestion de fortune, Rothschild et Cie est maintenant une des grandes européennes dans le domaine des fusions-acquisitions. En 1990, elle aura réalisé pour environ 7 milliards de dollars de transactions, dont, bien sûr, la belle opération Philip Morris-Jacobs Suchard.

 

Derrière ce mariage d’argent, comme toujours dans ces cas-là, on trouve un marieur bien dans la lignée des grands banquiers d’affaires traditionnels : Jean-Claude Meyer, cinquante-cinq ans, qui a également cette année conseillé le groupe Pinault pour la vente de Chapelle-Darblay à Kymmene.

 

L’homme n’a rien d’un golden boy excité. Parlant de lui comme à contrecoeur, on sent dans ses propos la longue habitude des affaires discrètes menées en petit comité entre gens de bonne compagnie. Ce  » sciences-po  » licencié en droit (et en lettres) a commencé sa carrière avec Jérôme Monod à la DATAR, lorsque, au début des années 70 il fallait attirer les capitaux étrangers en France. En 1976, il entra chez Lazard Frères, où il fut en charge des affaires internationales aussi bien en Europe qu’en URSS, aux Etats-Unis et au Brésil. Nommé gérant en 1986, il devait quitter cette maison au début de l’année 1989 pour rejoindre David de Rothschild.  » J’aime les petits commandos « , explique-t-il comme pour justifier le choix qu’il a fait d’entrer dans une banque où il se retrouve parmi cinq associés-gérants seulement (dont David de Rothschild lui-même et Jean-Charles Naouri) et où l’esprit d’équipe semble souffler.

 

 

Azoulay, échenozienne de A à Z

23 juin 2016

Avant de filer en calèche, Stéphane Bern est venu chercher ses effets, à la consigne. Il a la mine béate des convives repus après une belle orgie. Quand, tout à coup, son visage se charge de gravité : « Ça, c’est du lourd ! », s’écrie le journaliste royaliste, comme s’il assistait à l’adoubement simultané d’un Tudor et d’un Plantagenêt. Devant ses yeux écarquillés, deux écrivains se serrent la pince, Jean Echenoz et Michel Houellebecq. Leur ­confraternité semble d’autant moins feinte que les témoins de la poignée se comptent sur les doigts d’une main : l’essentiel des invités se goberge encore, dans la salle ovale de la bibliothèque ­Richelieu, d’un trio de desserts glacials – « givré de cerises, croustillant vanille et sorbet griottes », indique froidement le menu.


Il pleuviote sur Paris, en ce lundi de fin juin, et personne ne se sent de regagner ses pénates à pied. « Je suis nul, s’autoflagelle l’auteur de Soumission. Je ne suis pas même capable d’appeler un taxi. » Son ami Jean-Claude Meyer, téléphone à l’oreille, remplit discrètement l’office. « Cet homme est fondamentalement bon, et je suis fondamentalement mauvais », module Houellebecq, en parlant du vice-chairman de Rothschild Europe.


Depuis 2009, la bonté du banquier est entérinée lors d’un banquet printanier, durant lequel il remet, en amphitryon trois étoiles, le Prix de la Bibliothèque nationale de France à un écrivain destanding. La majorité des mangeurs sont des mécènes, leur présence au gala contribuant à l’enrichissement des collections de la BNF, selon la formule « pactole contre nourriture », en vogue chez les Anglo-Saxons.