Un « Rothschild boy » en chasse un autre… Avant l’été, le Tout-Paris n’avait à la bouche que le nom d’Emmanuel Macron. Le plus jeune associé gérant de la banque venait d’être nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée par François Hollande. De quoi faire jaser les mauvaises langues, qui déjà sous le mandat précédent s’inquiétaient de l’influence grandissante de la discrète maison. Et ce n’est pas le repêchage annoncé pour cette rentrée de Sébastien Proto, lieutenant de la campagne de Sarkozy, qui fera taire la rumeur. S’il n’y a désormais plus guère de suspense quant au prochain retour de ce brillant trentenaire, qui avait quitté la banque pour diriger le cabinet de Valérie Pécresse au Budget, les spéculations concernant son statut vont bon train. Proto sera-t-il comme il le souhaite directement propulsé au rang d’associé gérant, une exception dont avait bénéficié Nicolas Bazire, dircab d’un Edouard Balladur battu en 1995, ou devra-t-il, comme cela est l’usage, conquérir le titre convoité à force de juteuses opérations ? »Les associés gérants bénéficiant de bureaux plus spacieux que les simples associés, le grand jeu consiste à mesurer la taille de celui qui lui est destiné », s’amuse-t-on en interne.
Des facéties d’enfant gâté que la banque Rothschild peut aujourd’hui se permettre. »Car, malgré la crise qui ravage le secteur financier et la récente alternance politique, la maison est plus que jamais implantée au coeur du pouvoir », écrit Martine Orange dans son livre-enquête, « Rothschild, une banque au pouvoir ». Après un premier ouvrage remarqué sur la banque Lazard en 2006, la journaliste revient cette fois sur la tumultueuse histoire des Rothschild, célèbre dynastie bancaire privée de l’usage de son nom pendant des années. On l’a oublié, mais, le 18 février 1982, David de Rothschild quittait les murs de sa banque nationalisée pour ne jamais y revenir. Un drame qui a sans doute été sa chance, si l’on en croit cette anecdote livrée par l’auteur. Interrogé à Londres sur les personnalités qui ont favorisé sa carrière, le banquier aurait répondu en riant : « Le président Mitterrand. »
Martine Orange est la première journaliste à avoir fait parler aussi longuement David de Rothschild. Contrairement à son frère Edouard, le baron n’est guère un adepte des médias. Les confidences de celui qu’elle appelle le « nouveau James », du nom du fondateur de la branche parisienne de la famille, constituent donc un document rare. Celui qu’Ambroise Roux a relancé quand il avait tout perdu est sans aucun doute aujourd’hui l’homme qui tire les ficelles du capitalisme français, le « nouveau parrain de la place », disent certains. On le retrouve ainsi en ombre chinoise derrière la fusion GDF-Suez et dans le rôle du juge de paix désigné pour régler l’épineuse question de la succcession après le décès de Robert Louis-Dreyfus. Quand ce n’est pas lui qui est directement à la manoeuvre, c’est l’un de ses hommes. Aujourd’hui, JeanClaude Meyer, prise de choix arrachée à Lazard, François Henrot, le « serial banker », ou encore Grégoire Chertok, fils de psychanalyste et ami intime de Jean-François Copé. Demain, Sébastien Proto et surtout Alexandre, ce fils aîné à qui David a récemment mis le pied à l’étrier. Le seul vrai « Rothschild boy » de la banque, dont on lit les premières (prudentes) déclarations dans cet ouvrage…
Ils sont tous les deux sur le trottoir à se dire au revoir. David de Rothschild vient de quitter définitivement la banque [en1982]. Bernard Fraigneau est là pour le saluer. « Il n’était pas triste. Je pense qu’il était quelque part soulagé du poids du passé, même si le contexte de l’éviction de la famille du paysage bancaire n’était pas acceptable. Il était calme, comme à son habitude. Il m’a confié : « Papa m’a dit : il faut refaire quelque chose » », se rappelle encore le fidèle collaborateur de la maison. Refaire quelque chose. Mais quoi ? Personne au sein de la famille n’a les idées très claires.
Tout le monde est encore sous le choc de la nationalisation. David, lui, réfléchit. « Je n’ai jamais pensé aller aux Etats-Unis. Ma vie et celle des miens sont en France. J’ai décidé que c’était ici qu’il fallait recommencer. Je voulais ma revanche », dit-il aujourd’hui. Et il se voit naturellement, en tant qu’héritier de la branche aînée, reprendre la direction d’une future maison familiale.
David est-il vraiment capable d’être le chef de famille en France ? C’est la question abrupte que se pose une partie des cousins. Jusqu’alors, il n’a guère fait ses preuves, estiment certains. D’abord, il a vécu la jeunesse dorée d’un riche héritier, courant les soirées et les
aventures, à l’instar du jeune Gianni Agnelli avant qu’il ne prenne les commandes de Fiat. Dans le groupe, on se souvient de David et de ses cousins arrivant, le costume défraîchi et l’oeillet à la boutonnière, pour assister à la réunion du comité de crédit chaque jour à 10 h 20, tentant de faire bonne figure et de tromper l’ennui, en attendant la fin. Puis lorsque, à 40 ans, il a succédé à son père à la banque, les changements tant attendus se sont fait attendre et ne sont jamais venus. Comme s’il n’osait pas bouger l’ordre des choses arrêté par son père.
Même s’il parle d’une relation franche et cordiale avec celui-ci, il confiera plus tard à un proche : « A la banque, mon bureau était au nord. Je ne voyais jamais le soleil. J’étais dans l’ombre de mon père. »
Quant à connaître ses intentions, la question se pose d’autant plus que David semble être tenté par autre chose que le métier de banquier : la politique. Depuis mars 1977, il est maire de Pont-l’Evêque, ville où il a passé de longs moments pendant son enfance.
(…) « C’est vrai que j’ai été tenté par la politique. J’envisageais un jour de devenir sénateur. Après la nationalisation, je me suis dit que je n’avais pas assez envie pour faire une carrière politique », reconnaît-il aujourd’hui. Les événements ont décidé en partie pour lui. Il a désormais un but : « J’habiterai mon nom », dit l’écrivain Bernard Noël. En quelques mots, c’est la mission que se fixe David de Rothschild
Après Nicolas Bazire, un autre proche de l’ancien Premier ministre Edouard Balladur commence à hanter les couloirs de la banque : Nicolas Sarkozy.
D’ordinaire, le monde des affaires n’aime guère mettre en avant les coups de pouce qu’il a pu donner à un moment ou à un autre à une personnalité politique dans l’embarras. Ces petits services rendus se font dans la discrétion, et chacun s’empresse d’oublier qui a pu en prendre l’initiative. A la Banque Rothschild, on ne biaise pas avec le sujet. Des années plus tard, les et les autres se disputent même la primauté d’avoir eu recours aux services de Nicolas Sarkozy, avocat d’affaires, pour la banque.
Nicolas Bazire est catégorique. « C’est moi qui ai fait venir Nicolas à la Banque Rothschild en 1997. Je travaillais sur une cession immobilière de la Générale des eaux et j’ai fait appel à ses services à ce moment-là. » Edouard de Rothschild affine cette version : « J’étais son interlocuteur à la banque. » Mais celui-ci situe cette relation plus tard, après la défaite des élections européennes de 1999, lorsque l’allié de Philippe Séguin a abandonné la direction du RPR et parut tenté de quitter à nouveau la politique. « Je l’ai retrouvé, après les élections européennes, chez Jean Claude Darmon. Il était son avocat et moi son banquier d’affaires dans le cadre de la cession de son groupe. C’est à ce moment-là que je lui ai proposé de travailler comme avocat d’affaires pour la banque », raconte-t-il. Les versions semblent contradictoires. Elles sont juste étalées dans le temps.
David de Rothschild semble plutôt se souvenir de l’aide au moment de la première traversée du désert, en 1995, quand l’homme politique, abattu par la défaite, semble prêt à raccrocher les gants. « J’ai connu Nicolas Sarkozy en Normandie chez Edouard Balladur. C’était assez facile de sentir qu’il y avait chez lui toutes les qualités pour faire un très bon négociateur. Est-ce que l’initiative est venue de moi ou de Nicolas Bazire ? Je ne m’en souviens plus », dit-il aujourd’hui. Lionel Zinsou, ancien associé gérant de la banque, a une dernière version. Selon lui, Nicolas Sarkozy a commencé à travailler pour la banque dès 1995, au lendemain de la défaite de son protecteur.
Avril 2011. David de Rothschild suit avec toujours autant d’attention et d’intérêt la vie politique française. Il s’interroge : « Et qui voyez-vous comme candidat socialiste à la présidentielle ? » La question surprend. Depuis des semaines, la candidature de Dominique Strauss-Kahn s’impose dans tous les sondages. Les primaires socialistes seront pour lui une formalité, assure-t-on. Pourtant, David de Rothschild n’y croit pas. Il y a, chez DSK, ce je-nesais-quoi, cette réticence à se jeter dans le combat pour le pouvoir qui le gêne. « François Hollande, n’est-ce pas ? » poursuit-il. Dans la maison, Emmanuel Macron, le plus jeune associé gérant de la banque, a déjà rejoint l’équipe du futur candidat socialiste et travaille
d’arrache-pied pour lui fournir des notes sur les sujets les plus divers.
Tous se doutaient que ce brillant et atypique banquier d’affaires serait aspiré par le pouvoir. Quand il était arrivé à la banque, à 31 ans, en 2008, il avait déjà eu trois vies : étudiant en philosophie, il avait été assistant de Paul Ricoeur, avait commencé une thèse, avant de s’apercevoir que tout cela n’était pas pour lui. Alors, il bifurqua vers la haute fonction publique (Sciences po, Ena) pour terminer, comme il se devait, dans la botte de l’Inspection des finances. A peine sorti de ses études, il est tenté par une troisième vie : la politique. Il s’embarqua pour faire de la politique locale chez les socialistes du Pas-de-Calais. Mais entre le jeune inspecteur des finances et les caciques de Liévin, le courant ne passe vraiment pas.
Retour, donc, à l’Inspection des finances à temps plein. Il refuse d’intégrer un cabinet ministériel du gouvernement Sarkozy et reste à Bercy. C’est là que Jacques Attali le repère et l’appelle pour devenir rapporteur de sa commission sur la croissance. Les travaux de celle-ci ont connu le sort de toutes les précédentes : ils ont été enterrés dans les oubliettes de l’Histoire au premier obstacle, en l’occurrence la réforme des taxis parisiens !
Mais entre-temps, sur les conseils de Serge Weinberg et les recommandations de Jacques Attali, Emmanuel Macron avait rejoint la Banque Rothschild. « J’ai eu de la chance, dit-il. J’avais un parcours très peu intelligible. Personne ne pouvait le comprendre ailleurs que chez Rothschild. » Tout en découvrant le métier de banquier d’affaires, les affaires internationales, il planchait sur le programme économique de François Hollande. Car cette vie de vif-argent, pour lui, ne pouvait avoir qu’un temps. Mi-avril 2012, tout en conseillant, en tant qu’associé de la banque, le groupe Nestlé pour le rachat – pour
11,9 milliards de dollars tout de même – de l’activité de nutrition infantile de Pfizer, face à Danone, il continuait à s’entretenir quotidiennement avec les proches du futur président, à les abreuver de notes et de réflexions sur la crise, la macroéconomie, les banques et autres. Jusqu’à ce qu’on l’appelle à l’Elysée.
Jean-Charles Naouri L’ex-dircab de Bérégovoy est passé par Rothschild avant de
prendre la tête du groupe Casino.
Nicolas Bazire Le dircab de Balladur, devenu en 1995 le cinquième associé gérant
de la banque, dirige aujourd’hui LVMH.
Jean-Claude Meyer Cet ex-Lazard, entré chez Rothschild en 1989, dispose de
solides réseaux à gauche.
Grégoire Chertok Valeur montante de la banque, ce quadra, élu à Paris, est un
intime de Copé.
Nicolas Bazire Le dircab de Balladur, devenu en 1995 le cinquième associé gérant
de la banque, dirige aujourd’hui LVMH.
Grégoire Chertok Valeur montante de la banque, ce quadra, élu à Paris, est un
intime de Copé.
Alexandre, le fils aîné de David, est en piste pour succéder à son père. Formé chez
Bear Stearns, à New York, l’héritier de 32 ans a monté son propre fonds à Londres
avant de rejoindre la maison familiale à Paris. Il y officie dans la discrète activité de
capital-investissement, moins visible que la prestigieuse banque d’affaires.