La leçon de Stiglitz sur les sanctions à la Russie; Inflation, énergie, rôle de la Chine… Trois semaines après l'invasion de l'Ukraine, le Prix Nobel d'économie analyse l'impact des mesures adoptées contre Moscou. Rencontre.

24 Mars 2022

Rencontrer un Prix Nobel d’économie est toujours une curiosité, mais le faire dans le cadre majestueux de la plus ancienne bibliothèque publique de France, la Bibliothèque Mazarine, sise dans les murs de l’Institut de France, quai de Conti, ajoute une forme de plaisir, et pas seulement académique. Pourtant, ce 16 mars, l’inquiétude était là, présente à l’esprit des quelques dizaines de privilégiés ayant pris place autour des tables de l’immense salle de lecture. La causerie avait beau avoir été titrée « Croissance et instabilité » par Charles-Henri Filippi et Jean-Claude Meyer, les frères ennemis de Lazard et Rothschild &Co qui se sont investis pour revitaliser le Cercle Mazarine, c’était bien de guerre dont on allait parler avec Joseph Stiglitz.

Le Prix Nobel d’économie 2001 ne se dérobera pas sur la réaction à l’invasion de l’Ukraine, lui qui a expérimenté l’efficacité de sanctions quand il conseillait Bill Clinton – il s’agissait alors de punir l’Inde, qui avait procédé en 1998 à cinq tests nucléaires au mépris des règles de non-prolifération : « Les sanctions contre la Russie sont lourdes, et pourtant, le pays continue de tourner. Souvent, les sanctions tardent à produire leurs effets, surtout quand il s’agit d’économies peu diversifiées, assez autarciques, et peu intégrées dans le commerce mondial. Très peu de multinationales dépendent de la Russie. »

Enjeu céréalier Et Joseph Stiglitz de mentionner les trois problèmes que ce type de riposte posera à long terme : « D’abord, c’est la position de la Chine. Elle a évidemment la capacité de fournir à la Russie ce qui lui manque. Mais, pour l’instant, elle n’a pas fait ce choix, et les Etats- Unis doivent absolument continuer de faire pression sur Xi Jinping pour qu’il laisse les sanctions produire leurs effets. » C’était d’ailleurs la préoccupation principale de Joe Biden lors de son entretien avec le président Xi, en visioconférence, le 17 mars. Dans son argumentaire, le professeur d’économie américain évoque le jeu de go encerclant la Russie depuis un poste d’observation qui dépasse largement la seule

Europe. Et quand il parle de la dépendance vis-à-vis des exportations russes, deuxième problème, il ajoute immédiatement celle des céréales aux traditionnels enjeux pétroliers et gaziers : « Il n’y aura pas de récolte cette année, et ceux qui vont en souffrir sont les pays du Sud, les moins développés. » Bien sûr, l’énergie arrive très vite dans le débat, et soudain, la sagesse et le sens de la nuance qui suintent des kilomètres de rayonnages de la Bibliothèque semblent ne plus avoir d’effet sur l’invité de marque : « C’est presque criminel que l’Allemagne soit aussi dépendante du gaz russe. L’ex-chancelier Schroeder, qui a organisé tout cela, devrait être redevable de ses actes ! Il a pris le risque d’imposer à son pays un fournisseur peu fiable pour disposer d’un gaz moins cher livré par oléoduc, et le risque de faire que l’Allemagne émette aujourd’hui plus de carbone. C’est un bon exemple de corruption dans le monde occidental. » Tout cela mar- telé sans élever le ton, comme s’il fallait respecter l’ambiance ouatée de la salle… Puis vient le troisième effet des sanctions – l’inflation – qui permet à Stiglitz de retrouver un sens de l’analyse plus académique : « Même si la hausse des prix est un phénomène embarrassant politiquement, je ne suis pas trop inquiet, c’est un choc d’offre assez classique, et temporaire. Et puis il y a mille manières de mesurer l’inflation, et notre price index aux EtatsUnis – 7, 9 % aujourd’hui – est l’objet de critiques. » Le prix du pétrole « qui n’a rien à voir avec les coûts de production » est aussi pour lui source d’interrogation : « Ne devrait-il pas être plafonné ? On assiste à une véritable redistribution de la poche des consommateurs vers celles des majors, qui n’ont jamais gagné autant d’argent. » Un « gilet jaune » quai de Conti?

Instituer un impôt de guerre Joseph Stiglitz anticipe déjà sur la deuxième partie de la soirée où banquiers, grands patrons et éminences parisiennes veulent l’entendre sur le registre du capitalisme et des inégalités. Il ne les décevra pas. « Aux Etats-Unis, les entreprises ont finalement gagné beaucoup d’argent depuis la fin de la pandémie, et il faut davantage taxer les profits. » Et en Europe? Plus que des ristournes à la pompe payées par la collectivité, l’économiste de la gauche américaine prône la « réduction des effets de l’inflation en instituant un impôt de guerre pour les entreprises, collecté une seule fois, qui serait une preuve de cohésion sociale et de solidarité ». Les quelques présidents du CAC 40 et du SBF 120, qui ont annoncé des résultats record les jours précédents, font semblant de ne pas avoir entendu, et on peut relancer l’économiste sur des territoires plus classiques et moins dangereux : l’absence de gains de productivité dans les
économies modernes, l’inefficacité des politiques monétaires, la croissance de la dette qui n’est pas, selon le Nobel, « a big deal »… Il est 22 heures, le professeur Stiglitz est fatigué, la séance s’achève et la Bibliothèque Mazarine peut retrouver sa séculaire quiétude. Vincent Beaufils 

Jean-Claude Meyer lance « une nouvelle société de pensée »

Premier dîner, avec au menu des pâtes à l’encre de seiche, à la bibliothèque de I’Arsenal, à Paris, d’une « nouvelle société de pensée » fondée par Jean-Paul Agon (L’Oréal), Jean-Claude Meyer (Rothschild & Co), Christophe Ono-dit-Biot (Le Point) et Carlo D’Asaro Biondo (Google Europe). Unesoixantaine de convives, parmi lesquels Xavier Darcos, Yannick Bolloré, Arnaud de Puyfontaine ou Laurent Dassault, sont venus écouter l’universitaire Gilles Kepel, sur le thème de l’islam en France. Alors que Slrashouro Dîeurn ses morls, l’intellectuel explique froidement que les djihadistes vont encore profiter du mouvement des « gilets jaunes » pour déstabiliser un peu plus la société française, qu’ils observent en permanence.
Quel est l’objectif de ce nouveau cercle très « France d’en haut »? Jean-Claude Meyer affirme que le club de l’Arsenal n’est pas un « énième think-tank » et veut étre moins dans la réflexion que dans l’action et dans l’influence : « Fini le temps des rapports, place au lobbying des idées. »

 

Menthon Routier Double je

13 Juin 2019

Mercredi 5 juin Le cash rassure à la fois les pauvres et les riches Il n’est pas courant d’être nommé patron d’une entreprise créée au IX e siècle.

« Un aubergiste japonais, je crois, nous dispute le titre, mais c’est bien la Monnaie de Paris qui est la plus ancienne société au monde », raconte Marc Schwartz, l’énarque qui dirige depuis six mois l’institution. Comme tout bon patron de PME – près de 135 millions d’euros de chiffre d’affaires -, le PDG expose sa stratégie. En l’occurrence, il s’agit de compenser la baisse annuelle de 5% des pièces d’euros par l’exportation, sachant que plus de la moitié de la production de l’usine de Pessac (Gironde) est désormais destinée à l’international, avec une importante appétence africaine.

A l’heure du sans-contact et du paiement par smartphone, Schwartz défend bien sûr le cash sonnant et trébuchant : « Fiable, facile et rassurant. » Pour les « publics fragiles » bien sûr, mais aussi pour les riches avec, par exemple, une pièce de 1 kilogramme en or à 89000 euros à l’effigie de la Joconde. Elle a été présentée le 14 mai à quelques privilégiés dans la salle des Etats du Louvre lors d’une soirée privée. Il en reste à vendre mais il faut faire vite : le tirage est de 19 exemplaires.

Jeudi 6 juin  le banquier et la punk partagent le gout des bibliothèques. Entre le vice-chairman international de Rothschild & Co et l’auteure de Baise-moi, il y eut, dans la grande salle Labrouste de la Bibliothèque nationale de France (BNF), un grand moment de complicité. Devant 250 convives, parmi lesquelles Franck Riester, ministre de la Culture, Robert Peugeot, Laurent Dassault ou Laurent Fabius, Jean-Claude Meyer a remis un prix de 10000 euros à Virginie Despentes. Après lui avoir dûment rappelé qu’elle avait écrit : « Je n’ai pas l’intention de causer avec quelqu’un qui bosse dans une banque, ça me déprimerait complètement. » Assurant qu’elle n’avait jamais prononcé un discours de sa vie, l’auteure de Vernon Subutex s’est lancée dans une description de son périple de punk sillonnant les bibliothèques du pays : « Parce qu’elles n’ont aucun rayon interdit aux pauvres, elles sont le dernier endroit où l’idée de service public a un sens et est défendue. » Avant de conclure : « Putain de prix, putain de BNF et putain de premier discours! » Meyer et les mécènes étaient ravis. Les fonds recueillis permettront l’achat d’une édition originale et intégrale de Dada, revue déjantée créée en 1917.

Samedi 8 juin hommage à Omar Bongo, au milieu de sa nombreuse descendance Retour au Gabon pour les dix ans de la mort d’Omar Bongo, que nous avions fréquenté pour l’aider à écrire son livre titré Blanc comme Nègre (Grasset, 2001). Une cérémonie œcuménique a lieu au palais présidentiel, au cours de laquelle l’archevêque de Libreville, l’imam de la grande mosquée mais aussi les pasteurs de l’église évangélique et de la communauté pentecôtiste charismatique ont, tour à tour, célébré le règne de quarante et un ans de l’ancien président. « Merci à toi d’avoir maintenu notre pays dans l’unité et la cohésion sociale », s’enflamme le pentecôtiste.

Invité par sa fille Pascaline, nous sommes placé dans une rangée réservée à la famille, noyé au milieu de ses innombrables enfants et petits-enfants. Une brochette de leaders africains entoure son fils Ali, qui se déplace difficilement. Victime en Arabie saoudite d’un AVC, l’actuel président est revenu au Gabon en mars.
C’est sa première apparition publique. Le soir, dans une allocution télévisée, il demande à son Premier ministre de former un nouveau gouvernement : « Le ménage doit être fait au sein de notre classe politique. Il est capital d’en finir une fois pour toutes avec la corruption. »

 

Lundi 10 juin  le réchauffement et le manque de chasseurs nuisent aux forêts Promenade sur les contreforts des Vosges, près de Sarrebourg (Moselle).
L’occasion de vérifier in situ les conséquences du réchauffement climatique. Un bûcheron de l’Office national des forêts nous raconte qu’il n’abat que des arbres malades vendus à vil prix. Des insectes qui colportent des parasites – dont celui de l’orme, un arbre qui a disparu du territoire – pompent la sève des épicéas. Apparu à la fin des années 1980 dans la région, le minuscule prédateur, avec les étés chauds, se reproduit désormais trois fois par saison dans de dévastateurs « envols ». A terme, d’autres résineux sont menacés, comme les sapins, symboles des Vosges, qui sèchent sur pied avec les nappes phréatiques vides. Quant aux plantations, elles sont dévorées par le gibier, dont la démographie est galopante, et inverse à celle des chasseurs. A quoi ressemblera ce paysage en 2040? Des pinèdes avec des genets ? Des bois de bouleau ? A moins qu’il n’y ait du vignoble Récitatif. Nous avons confondu (Challenges no 613) Marc Cagniart, président du 115e Congrès des notaires de France, avec Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat. Toutes nos excuses aux intéressés. 

Lundi 20 juin Michel Houellebecq socialise avec les riches pour son prochain livre En ce lundi soir, la république des lettres et de nombreux mécènes réunis par le banquier Jean-Claude Meyer (Rothschild& Co) se retrouvent pour un dîner de gala dans la mythique salle ovale du site historique parisien de la Bibliothèque nationale de France, rue de Richelieu. Bonne élève, la ministre Audrey Azoulay rend hommage à la fois à la littérature et aux « agents de la BNF ». Le romancier Jean Echenoz raconte ses souvenirs, mais la vraie vedette est Michel Houellebecq. Avec sa parka kaki informe, l’écrivain électrise la soirée,se prêtant au jeu des dédicaces de quelques exemplaires précieusement reliés de ses oeuvres. 

Si, ce soir-là, il ne pipe mot, dans le Financial Times du weekend, l’homme s’était lâché en affirmant qu’il n’était « pas misogyne du tout, mais bien islamophobe ». Celui qui se définit comme « le meilleur romancier vivant » promet au quotidien des affaires britannique un livre sur les «
ultrariches ». Ceux, par exemple, qui sont réunis ce soir pour donner 2 millions d’euros afin d’acquérir un manuscrit auprès du milliardaire Pierre Bergé. « Compte tenu de la défiscalisation, c’est beaucoup moins », relativise Jean-Claude Meyer.